J’ai eu le grand plaisir de rencontrer DOA lors du salon Noir sur la ville 2010 de Lamballe et nous avons échangé trop rapidement, entre autres, sur ses livres. Je n’ai pas eu le temps de revenir avec lui sur « Citoyens clandestins », Grand Prix de littérature policière 2007.
J’en profite alors pour mettre par écrit mes idées sur ce gros et beau livre.
Je ne vais pas redire ce que j’ai déjà rédigé dans ce billet, DOA a un style incisif, clair et jamais emphatique. C’est limpide, net tout en laissant la place à l’imaginaire. C’est un vrai plaisir de lecture qui ne s’embarrasse pas de fioritures.
Lors de cette édition du festival Noir sur la ville, les membres de l’association La fureur du noir avaient décidé de faire des tee-shirts avec dessus une phrase d’un auteur. J’ai choisi pour cette occasion ceci : DOA il est parti… Elle résume assez bien la thématique centrale de DOA. Les personnages de DOA ne sont jamais à une place, à leur place. Ils ont certes des rôles sociaux à jouer, mais ces personnages n’ont pas d’espace propre, personnel. Pour autant, nous ne sommes pas dans le pathos du sujet qui ne trouve pas sa place, qui se balance dans une construction de soi indéterminée et fluctuante. Ces personnages sont d’une présence au monde forte, sauf que celle-ci s’inscrit dans un rapport à l’acte, au faire, à l’agir qui est prédominant chez DOA.
Ce livre pose d’emblée un oxymore dans son titre - citoyens clandestins. Cette bizarrerie m’a sauté aux yeux lorsque j’ai vu cette couverture dans une librairie. Comment peut-on être citoyen et clandestin ? La citoyenneté implique une autonomie, un rapport à la loi, une libre soumission à cet ordre théoriquement auto-limité. Mais en même temps, cette autonomie implique une capacité de chaque citoyen de proposer des lois, relation dialectique d’autorisation, délégation. Cette implication relève de l’imaginaire social à l’œuvre [1] qui fait qu’une société donnée qui se veut (se prétend) autonome, permet au citoyen de se donner ses propres règles. Or, le principe de la clandestinité est justement une soustraction et non une addition en tant que proposition d’un plus. Comme vous le lirez, ces citoyens clandestins remplissent des missions à la marge tout en répondant à des ordres institutionnels résolvant pour partie cette ambiguïté. En clair, il s’agit ici d’espionnage avec des points de vue apportés par tous les acteurs de ce roman.
Le point commun de tous les personnages de ce livre reste le caractère d’imposition, le rapport à l’obéissance législative et légale, voire spirituelle. Tout le livre est alors une folle histoire de personnes qui sont sans être, d’être en devenir extra territorialisé pour qui seul le chemin, le voyage, compte parce qu’ils n’ont qu’une vie et qu’elle ne se rejouera jamais deux fois. C’est un des points forts de ce livre. Certes, nous avons envie de connaître la fin, les tenants des aboutissants de l’histoire, mais c’est surtout le cheminement intérieur qui nous guide. Ce d’autant plus, qu’il y a beaucoup de niveaux dans les différents personnages. DOA ne livre pas la même quantité d’information pour chacun d’entre eux. Il en est de même de la qualité des niveaux décrits qui oblige le lecteur à se créer des représentations plus ou moins facilement.
DOA a un rapport à l’outil tout à fait particulier. Tous les personnages de Citoyens clandestins, mais c’est aussi valable dans ses deux autres livres, utilisent, usent, d’objets. Ces derniers sont décrits, définis, datés et permettent une dialectique du mode d’emploi et du sens de l’objet social qui crée un-des mode(s) d’emploi spécifiques au-delà de leur fonction usuelle. Toute notre vie d’humain est outillée, outillage, que ce soit des outils pour se protéger comme les vêtements, des outils pour manger, des outils pour nous déplacer et n’oublions pas, les outils pour nous tuer. Ainsi, par exemple, un des héros utilise un baladeur numérique de marque RIO qui devient autre chose qu’un simple outil à écouter de la musique. Il est le compagnon solitaire du personnage, son anti-dépreseur, son confident, tout en étant, pour nous lecteur, un précieux indice sur cet utilisateur mystérieux.
Nous avons alors affaire à un grand livre de bricolage avec les pros, les « du dimanche » et les autres. Chacun y va de sa plus ou moins grande dextérité, de sa plus ou moins grande capacité à faire pour répondre à la commande des différents ordonnateurs de l’histoire, commande floue de fait, car clandestine.
Ce que DOA décrit très bien, c’est la difficulté pour presque tous les personnages, de pouvoir se sentir bien dans cette double contrainte de la liberté et de la détermination. Les protagonistes bougent, coursent, sans lieu précis, sans cause particulière et, pourrait-on dire, sans finalité explicite. Regarder les causes implique de s’arrêter pour apercevoir le passé et les personnages ne se l’autorisent pas ; ils agissent, décident soit à l’aveugle, soit en fermant les yeux. Les tenants du suspens apparaissent petit à petit, se dévoilent et sont sans cesse remis en question par les personnages qui eux, sont dans l’action. Pour autant, cette action ne semble pas répondre à un « pour quoi » faire et en tant que citoyens clandestins, les héros officiels, institutionnels, ne se posent pas cette trop douloureuse question. Ils obéissent quand bien même des doutes peuvent poindre, doutes aussitôt effacés. Ce sont ces autres qui nous interrogent, questionnent le lecteur tout aussi perdu dans cette histoire complexe.
En effet, ce livre se lit seul. La multitude des personnages presque tous double, voire triple (nous sommes dans l’espionnage), implique un effort au début pour les suivre et, comme beaucoup, j’ai l’habitude de lire plusieurs livres en même temps. Là, tel ne fut pas le cas. Heureusement, l’histoire, le style, nous tiennent en haleine et ce qui fut délicat au début devient petit à petit une évidence.
Ce livre est entier, plein, fort, égoïste, jaloux. Prenez moi, lisez moi, mais que moi !
Doa. Citoyens clandestins. Paris : Editions Gallimard, 2009.